
Il était une fois un homme singulier qu’on appelait monsieur Ledkhan. On disait de lui qu’il avait de l’énergie à revendre, des idées à foison et un enthousiasme sans limites. Mais on murmurait aussi, avec un sourire sarcastique, qu’il possédait une aptitude rare : transformer toute réussite possible en un échec assuré.
Chaque matin, Ledkhan se levait avec l’air inspiré d’un inventeur sur le point de révolutionner le monde. D’une voix solennelle, il proclamait à ses concitoyens : Aujourd’hui, mes amis, je vais bâtir l’avenir !
Et les siens, déjà résignés, répondaient en chœur : ‘’Allah yestar…Que Dieu nous préserve "
Le gâteau de la prospérité
Un jour, il entreprit de préparer un gâteau pour célébrer la prospérité future de sa belle cité. Tout y était : farine blanche, œufs frais, beurre doré… Mais, emporté par son génie improvisé, Ledkhan jugea bon de remplacer l’eau par de l’essence, pensant donner plus d’« énergie » au gâteau. Résultat : une explosion parfumant le voisinage d’un fumet de brûlé. Les pompiers durent sauver la cuisine… et le quartier du désastre.
Ce gâteau, c’était évidemment le pays. Les ingrédients, ses ressources naturelles. Mais à force de bricolages grandioses et de décisions absurdes, tout finit carbonisé.
« Le torrent du mal-développement »
Un autre jour, une modeste fuite apparut dans sa maison. Rien de grave: un simple joint à resserrer. Mais Ledkhan décida de traiter le problème comme on construit un barrage hydroélectrique. Il creusa une tranchée, importa des tuyaux de trois mètres de diamètre et mobilisa ses cousins. Après une semaine de travaux titanesques, la petite fuite s’était transformée en torrent, emportant mur, meubles et même les animaux domestiques : chèvres, ânes, vaches, chiens et chats, poulets et autres.
Cette fuite d’eau, c’était la pauvreté. Et les tuyaux géants, les milliards engloutis dans des projets mal pensés. Résultat : au lieu de colmater la misère, on l’élargit, et le déluge de la gabegie étouffa la population.
La serre des illusions
Enfin vint son projet le plus ambitieux : construire une serre pour nourrir toute la population de la cité. Le terrain fertile était là, les semences rares aussi, et le soleil généreux. Mais Ledkhan, fidèle à lui-même, arrosa ses plantations de pesticides toxiques et décida d’illuminer la serre avec un feu de bois, abattant les arbres verdoyants alentour. Les tomates grillèrent, les carottes se desséchèrent, les pastèques éclatèrent, les haricots et le blé se consumèrent. Les voisins repartirent bredouilles.
Cette serre, c’est un secret de polichinelle : Les semences, ce sont ses ressources halieutiques, minières, gazières, pétrolières, agricoles, animales et touristiques. Mal gérées, elles se consument comme les légumes calcinés de Ledkhan.
Une ironie nationale
Et pourtant, après chaque désastre, Ledkhan sortait triomphant, le sourire éclatant, proclamant : Voyez ! Nous avançons à grands pas vers l’avenir !
Les voisins, encore maculés de farine, de boue ou de fumée, le regardaient médusés. Ils reconnaissaient en ce personnage maladroit l’écho d’une autre figure plus vaste : un gouvernement débordant de slogans, riche en ressources, mais pauvre en résultats.
Car en Mauritanie, comme dans la maison de Ledkhan, tout est là : poissons des côtes, or du sous-sol, gaz des profondeurs, pétrole, dunes dorées, parcs naturels attrayants, bétail des plaines, tourisme du désert… Et pourtant, la pauvreté s’accroche comme une ombre, les frustrations s’entassent, et le sous-développement persiste.
Leçons de l’échec
Si monsieur Ledkhan veut échapper à ce cercle vicieux, il devra un jour prêter l’oreille aux conseils de ses proches. L’improvisation permanente et les décisions arbitraires ne mènent qu’aux ruines fumantes. À force de vouloir bâtir l’avenir sans méthode, on pulvérise le présent.
De la même manière, notre gouvernement doit quitter l’ivresse des slogans pour entrer dans la rigueur des actes. L’intérêt général doit l’emporter sur les calculs particuliers, les projets doivent être suivis avec sérieux, et les fonctionnaires corrompus punis avec fermeté. Il ne suffit pas de vanter les richesses du pays : encore faut-il qu’elles irriguent le quotidien des citoyens, au lieu de se perdre dans les sables mouvants de la corruption.
Il est temps aussi de nouer avec les partenaires étrangers des relations équilibrées et transparentes, fondées sur la dignité et la loyauté. Et surtout, chacun — du plus haut fonctionnaire au plus humble citoyen — doit servir sincèrement ce pays qui nous a vus naître.
Alors seulement, peut-être, la Mauritanie cessera de ressembler aux expériences hasardeuses de Ledkhan, et l’art sublime de l’échec pourra céder la place à la science patiente de la réussite.
Chaque matin pourtant, l’homme continue de s’écrier : Mes amis, cette fois-ci, je vous le jure… ce sera la réussite !
Et le quartier, avec un sourire las, lui répond invariablement :
— Inch’Allah… Dieu nous suffit et Il est le meilleur Dispensateur de nos affaires.
Eléya Mohamed
Notes amères d'un vieux professeur