
Le Calame : Le conseil Constitutionnel vient de retoquer le nouveau règlement intérieur voté lors de la dernière session de l’Assemblée nationale. Comment avez-vous accueilli cette décision des sages du Conseil Constitutionnel ?
-Khalilou Dedde : : Instance suprême du système judiciaire dans le pays, le conseil constitutionnel occupe une place prépondérante dans le dispositif institutionnel chargé de garantir le respect de l'État de droit en faveur duquel l'UFP n'a cessé de se battre depuis sa naissance. Par le passé, nous avons, le plus souvent, été déçus par les décisions de cette instance du fait de son alignement quasi-mécanique sur les prises de décisions des pouvoirs politiques. Sa dernière décision consistant à retoquer le nouveau règlement de l'Assemblée nationale, semble rompre d’avec les anciennes postures décriées. Est-ce une influence de l'expérience sénégalaise où le conseil constitutionnel s'est affirmé, lors de la dernière présidentielle, en disant le droit pour trancher les conflits entre les acteurs politiques. Ou les lignes sont-elles en train de bouger autrement au sein de cette instance ? Bien que les réponses à ces questions me manquent, j'ai plutôt tendance à accueillir positivement cette décision en espérant qu'elle s'inscrive dans une logique stable de normalisation institutionnelle dont le pays a structurellement besoin.
-La ville de Nouakchott, capitale politique du pays connaît depuis peu des délestages d’eau et d’électricité. Interpellé, le gouvernement promet un retour à la normale sous peu. En êtes-vous convaincus et rassurés ?
- Le constat amer est que la ville de Nouakchott vit une crise de croissance complexe en rapport, à la fois, avec les caractéristiques physiques de son site, les multiples fonctions (politiques, économiques, culturelles etc.) qu'elle joue et la mauvaise gouvernance dont elle est l'objet depuis des décennies. Tous ces facteurs contraignants s'accumulent pour en faire une agglomération dysfonctionnelle quasiment ingérable. Les récents problèmes d'eau et d'électricité ne sont que la partie visible de l'iceberg ! Il est vrai qu'au cours de cet été l'état défectueux de ces deux services publics vitaux a pris une tournure alarmante traduite quotidiennement par une soif massive et généralisée, des pannes d'électricité longues et fréquentes engendrant des conséquences sociales et économiques néfastes surtout au sein des ménages les plus démunis au point d'avoir été relayées par les médias internationaux. Quant à la gestion officielle qui en a été faite, elle fut cacophonique, marquée par un écart entre les discours des conseillers techniques et ceux des responsables politiques, laissant l'opinion en proie à un flou concernant les causes réelles du phénomène et les vraies solutions trouvées. De fil en aiguille, cette crise d'eau et d'électricité a failli muter en crise politique. Son retentissement risque de jeter un discrédit sur le fameux projet de modernisation de la ville de Nouakchott car elle ne manquera pas de surgir dans le futur tant que ses causes profondes liées à la mal gouvernance, en amont et en aval des projets, ne seront pas traitées convenablement. Je reste donc sceptique par rapport aux déclarations officielles sur le fait que cette crise est désormais derrière nous.
-Depuis le mois de Ramadan dernier, un processus de dialogue politique est lancé par le président de la République. Un facilitateur national a été désigné à cet effet. Que pensez-vous de cette initiative présidentielle ? A votre avis, que pourrait apporter un nouveau dialogue à la Mauritanie ?
-L'initiative du président de la République appelant à un dialogue national inclusif, ouvert à tous les sujets et n'excluant personne, est salutaire. En effet, elle répond à un besoin de rassembler tous les Mauritaniens autour du règlement des grands problèmes qui les divisent en vue de faire face, grâce à la mise en place d'un front intérieur solide, aux dangers extérieurs secrétés par un contexte régional en ébullition et une situation mondiale bien trouble. Ce dialogue en préparation pourrait s'inspirer des expériences passées pour aboutir à des conclusions utiles pour le pays. Par exemple, bâtir un consensus national autour d'une série de réformes essentielles et urgentes permettant de remettre le pays sur les rails. Ce défi peut être relevé à condition que la volonté politique de tous les segments du pouvoir ne fasse défaut et que les différentes composantes de l'opposition ne jouent un jeu stérile qui conduirait à leur faire rater une opportunité pour faire évoluer la situation du pays, tant soit peu, dans le bon sens.
-Pour préparer le dialogue, le président a désigné un facilitateur, en la personne de Moussa Fall qui a demandé aux acteurs politiques de lui soumettre leurs propositions. D’abord que pensez-vous de cette démarche différente des dialogues que la Mauritanie a connus ? Ensuite, votre parti a souscrit au dialogue. Pouvez-vous nous résumer brièvement les sujets qu’il voudrait le dialogue traiter?
-Le choix d’une personne fiable comme Moussa Fall est un acte qui inspire confiance à tous ceux qui connaissent le parcours d'un homme de conviction, compétent, doté d'un esprit indépendant, attaché aux valeurs patriotiques, de justice et de progrès. La démarche qu'il met en œuvre peut avoir l'inconvénient des risques d'allonger les délais de finalisation des opérations. En revanche, elle présente l'avantage d’être participative et d'une grande exclusivité soutenue. Notre parti, rodé dans les réflexions sur les concertations et les dialogues, a répondu sans tarder aux questions du médiateur. Dans nos réponses, nous avons repris l'essentiel de nos développements sur les sujets déjà évoqués dans le cadre du "pacte républicain" que nous avions co-signé avec le RFD, INSAV et le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation. Les principaux sujets traités sont ceux dont le non règlement pourrait créer un terrain de prédilection pour les dissensions au sein de notre peuple multinational, pour l'instabilité politique et l'immobilisme institutionnel générateur de dégradation des conditions de vie des populations. J'en cite : le processus électoral, le passif humanitaire, les pratiques esclavagistes et leurs séquelles, la gabegie et les conditions de vie des populations.
-Que vous inspirent les vacances citoyennes auxquelles le président a invité les responsables du pays?
-L'idée de vacances citoyenne est belle à entendre. Sa concrétisation pourrait rapprocher les hauts fonctionnaires, jadis repliés hautainement, à l'image des agents de l’administration coloniale, dans leur tour d'ivoire tout en créant une méfiance entre eux et les masses populaires. Ce rapprochement pourrait avoir des effets formateurs pour les vacanciers et être suivi de retombées financières dans les terroirs visités de façon à participer à la création d'un "contenu local". Mais dans quelles conditions, une fois sur le terrain, les vacanciers sont-ils se comporter ? Avec quels moyens vont-ils financer leur train de vie ? Quelles activités utiles pour le pays et en rupture avec les mentalités et structures sociales rétrogrades vont-ils mener? Lancer un slogan valable est une chose mais le décliner valablement sur le terrain en est une autre.
- Votre parti est engagé dans une campagne de réimplantation. Où en êtes-vous ?
- Notre campagne de réimplantation est bien avancée, nous avons réimplanté 70% des structures de base, les 30% qui restent se trouvent généralement dans des zones éloignées. Mais nous travaillons d'arrache-pied pour boucler l'ensemble de la campagne à la fin de cet été et nous consacrer à la tenue du Vème congrès ordinaire de notre parti au cours de l'année 2025.
Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam