
La grandeur d’une âme
Un faufilement dans la direction du pouvoir
Ma période de flottement ne durera pas longtemps. Le frottement permanent avec des amis proches du régime de Maaouiya, notamment les anciens initiateurs de DFI, finira par m’entrainer dans le camp du pouvoir. Il m’arrivait de me demander pourquoi d’ailleurs j’hésitais à m’approcher de ceux qui détenaient le pouvoir, au lieu de continuer à chercher une place impossible parmi des gens qui à leur tour tenaient à tout accaparer au niveau de l’opposition, en usant souvent de méthodes pires que celles des gens au pouvoir ?
Une décision éprouvante
Je finis par me décider à casser ma solitude politique. J’annonçai mon intégration au PRDS, le parti au pouvoir dans un hebdomadaire de la place. J’avais donc opté d’y aller par la voie la plus simple. J’avais horreur de chercher à marchander toute décision politique me concernant. De même que j’avais évité de procéder par un cérémonial quelconque comme le faisaient d’autres. A tort ou à raison, j’avais donc emprunté la même voie que celle de mes amis de DFI.
Heureusement pour moi qu’ils n’avaient pas eu l’idée d’organiser à leur tour mon « procès » au « Tribunal de Nuremberg », au carrefour, chez le doyen Ould Moud. Ma seule démarcation avec mes amis de DFI fut que je m’étais abstenu de tout agissement cherchant à nuire à d’autres par mon propre choix ou à entrainer d’autres avec moi dans une aventure politique, fruit d’un raisonnement personnel qui ne concernait que moi.
« Même au PRDS, Cheddad gardera avec lui ses idées ! ».
« Même au PRDS, Cheddad gardera avec lui ses idées ! ». Quelqu’un m’apporta ce commentaire d’un ancien cadre dirigeant du MND. Je mis du temps à le comprendre. Durant quelques années, j’avais essayé de trouver des interlocuteurs au niveau de certains partis de la majorité, le PRDS notamment. Comme l’avait prédit l’ancien du MND (l’occupant en 1969 du pavillon des mariés No 16 à l’université de Dakar, en compagnie de sa mignonne petite femme), j’avais effectivement gardé avec moi mes idées, c'est-à-dire mon opinion: « ce que je pense ».
L’inamicale insinuation
Une fois, j’ai fait une intervention dans un meeting en plein air organisé à Toujounine par la section du PRDS. Une délégation de haut rang de ce parti était présente. Parmi ses membres je retiens les noms de Mohamed Ould Nani et le vétéran Abdallahi Salem Ould Ahmedoua. Je ne me souviens d’aucune idée de mon intervention. Je me rappelle seulement que j’y avais évité toute langue de bois et qu’elle avait été bien applaudie par l’assistance et bien appréciée par certains membres de la délégation.
Quelques semaines après, une grande personnalité m’avait informé qu’un membre de cette délégation lui avait fait l’éloge de mon intervention et qu’il lui avait dit en même temps que mon parent de Rkiz, parlant de moi, avait chuchoté à l’oreille du chef de la délégation: « C’est quelqu’un de l’opposition ! ». J’avais trouvé cette remarque inamicale. Mais avec le recul, j’avais donné raison au doyen dans la mesure où, pour lui, parler vrai, relèverait d’un discours d’opposition.
Pouvoir/opposition kif kif
Au fur et à mesure que je me frottais aux hommes du pouvoir, je me rendais compte que ces derniers, comme d’ailleurs la plupart de leurs «collègues » de l’opposition, n’aimaient pas les gens à opinion. Ils leur préféraient les gens à fric, ceux qui seraient en mesure de dépanner parfois ou les gens très dociles et disciplinés pour ne pas déranger leurs petits calculs. Mon véritable problème, mon vrai handicap, résidait effectivement dans cette volonté intrinsèque de n’exprimer que «ce que je pense » réellement.
L’introuvable oreille attentive
Depuis donc que j’ai renoué avec la solitude politique, je m’étais mis à chercher quelqu’un qui accepterait de m’écouter. Généralement je ne prêtais pas beaucoup d’attention à son attitude politique présente. En général je me fiais à ceux qui me semblaient être les plus honnêtes.
Ma conviction fut que si seulement l’un d’eux, disposant d’un minimum de bonne foi, accepterait de m’écouter je ne manquerai pas de l’influencer dans le bon sens. Comme je n’avais pas de situation matérielle convenable, ni tribu serviable et de surcroit capable, ni de grands et prestigieux diplômes, ni, ni, ni…, je m’étais toujours abstenu de prendre l’initiative de fonder une adresse politique ou sociale dont je serai le meneur et le chef fondateur.
La personne à opinion persona non grata
Dans cet ordre d’idées, une autre raison devrait aussi compter. Comme je passais l’essentiel de mon temps à méditer sur tout ce qui m’entourait je serai toujours dans la position de changer d’opinion et à tout moment sur telle ou telle question d’actualité locale ou internationale en fonction des matériaux de réflexion dont je disposais. Donc durant cette période, ou peut-être durant ce moment d’égarement, dans tout ce que j’écrivais ou ce que je disais, je m’en tenais strictement à ce que je pensais. « Ce que je pense », en dépit de mes efforts de m’en servir au plan personnel, tire le plus souvent vers l’intérêt général, c'est-à-dire ce que je pensais être l’intérêt supérieur de mon pays.
Ma situation fut aggravée par un autre facteur. En effet je n’ai jamais accepté d’adresser le moindre reproche, écrit ou oral, à mes anciens compagnons de l’opposition. Il m’arrivait de faire état de quelques remarques analytiques, d’ordre critique, à l’adresse des uns et des autres mais dans le seul but d’améliorer la situation générale dans notre pays.
Une lettre de vérité fermée
D’ailleurs je n’arrivais pas à me départir d’un défaut mortel. Dans le souci uniquement d’améliorer, je mettais toujours l’accent sur la critique de mes compagnons, camarades, amis, mais surtout le parti ou le groupe politique que j’accompagne. Je garde toujours avec moi une lettre de plusieurs pages que j’avais remise de main en main au président Ould Taya à la présidence. Dans cette lettre, je le mettais en garde contre certaines dérives qui pourraient menacer la cohésion nationale. Je lui avais répété la même chose au cours d’une brève rencontre lors de sa visite au Hodh Echarghi en 1996. Là, il s’était beaucoup attardé à m’écouter malgré les injonctions de Ould Tomi, le chef du protocole, chargé d’organiser les rencontres avec le président.
Face à face avec le président Taya
Que ça soit à la présidence et au Hodh Echarghi, les gens se vantaient d’avoir posé leurs problèmes personnels au chef de l’Etat. Alors que moi, con peut-être que j’étais, je m’étais limité à ne lui évoquer que les questions d’intérêt général.
(À suivre)
Chedelmoctar: une douloureuse période d’écoute, de méditation, de lutte militante et surtout de recherche désespérée d’une oreille attentive