
Après mon intervention en première instance devant la Cour criminelle, le greffier-chef s’exclama : « Maître, vous avez piégé l’ancien Président ! » Je répondis aussitôt : « Non, Maître, je ne l’ai pas piégé, je l’ai mis devant le fait accompli gauchement par ses avocats qui l’ont eux-mêmes ainsi enfoncé. » Revenons aujourd’hui sur cette péripétie. En première instance, après plusieurs mois de séances, alors que l’audience avait pris sa vitesse de croisière et après l’intervention de la majorité des avocats de la défense et de la partie civile, j’avais plus écouté que parlé et pris beaucoup de notes.
Je décidais d’intervenir enfin pour demander au président de la Cour de rappeler divers actes du procès : « Monsieur le Président, je ne reviens pas sur l’article 93 concernant l’immunité présidentielle : nous ne sommes pas devant la Cour constitutionnelle et mes confrères du collectif de la partie civile ont largement défendu avec brio la cause de l’État. Mais je voudrais cependant attirer votre attention sur le fait que les avocats du principal accusé ont tout simplement enfoncé leur client. »
Tentant d’impressionner l’assistance, notre consœur du Liban, maître Sandrilla Merhej, s’était en effet lancée dans une série de questions à son client Mohamed ould Abdel Aziz, à ce point frénétiquement posées que, déconcentré et décontenancé par le peu d’à-propos de la plupart de celles-ci, il s’était senti obligé de lui rétorquer : « Maître, tu te prends pour le procureur de la République ou quoi ? » Stupéfaction générale ! En ce qui me concerne, le jour où un de mes clients m’interpellerait ainsi, je cesserais illico d’être son avocat, puisque cela signifierait en effet que celui-là m’aurait confondu avec son bourreau.
Par ailleurs, maître Ciré Clédore Ly avait déposé, devant le président de la Cour, ses conclusions écrites et traduites en arabe où il osait déclarer, en page 9, que l’immunité fonctionnelle du président de la République n’était pas temporaire… mais permanente et absolue ! Un élève du Primaire se serait gardé d’une telle formule ! Quant à Maître Sid’El Moctar, il avait longuement tenu l’audience en haleine en développant les ressemblances entre la Constitution française issue de la 5ème République et son homologue mauritanienne… alors que, la même semaine en France, l’ancien président Sarkozy venait d’être condamné dans l’affaire Pygmalion ! Notre éminent confrère comptait-il demander à la Cour d’en faire autant envers son client ?
Faute avouée….
Ce sont ces trois anecdotes qui m’avaient poussé à demander à la Cour de rappeler notamment la déclaration de l’ancien Président ou il disait, entre autres, que le Président Ghazouani lui avait remis deux mallettes contenant respectivement quatre millions et demi d’euros et quatre millions de dollars. C’était reconnaître ipso facto la détention de ces sommes et c’est pourquoi – faute avouée étant toujours à moitié pardonnée, dans tous les systèmes judiciaires et civilisations de ce monde – Ould Abdel Aziz n’avait écopé, en première instance, que de cinq ans de prison ferme.
Malheureusement, ses avocats ne le suivirent pas dans cette déclaration et, au lieu de s’atteler à invoquer des circonstances atténuantes, ils se cramponnèrent à l’article 93 dont la Cour constitutionnelle avait pourtant scellé le sort. C’est dans ses conditions que le greffier en chef s’était exclamé sur le piège qu’il me voyait avoir tendu à Mohammed ould Abdel Aziz. Puis, après avoir entendu ma réponse, il finit par reconnaître qu’en fait, « Aziz s’était mieux défendu que ne l’avaient fait ses trois avocats ».
Lorsque le principal accusé d’un procès aussi important n’est pas suivi par ses défenseurs, c’est un boulevard offert à la Cour pour asséner le maximum. Il fallait à ceux-ci suivre l’aveu de l’ancien Président. Ils s’en sont abstenus et ce sont ces bavures qui expliquent, tout simplement, la disparition des avocats libanais et sénégalais.