
« L’épine est acérée dès sa naissance » (الشوكة من صغره امحدة) — ce proverbe maure souligne que les signes de caractère, de génie ou de détermination se manifestent dès l’enfance. L’enfant vif, entreprenant, déjà affirmé, porte en lui la promesse de l’adulte qu’il deviendra. Contrairement à l’idée selon laquelle seule la maturité forge la valeur, cette sagesse reconnaît au jeune son potentiel, son éclat naissant.
Mais elle trouve son juste contrepoint dans une autre parole du désert :
« Le vieillard assis voit ce que ne voit pas un jeune debout » (إشوف الشيخ التاكِ الما يشوف أفگراش الواگف).
L’expérience, la mémoire, le recul offrent à l’ancien une lucidité que la fougue de la jeunesse ignore encore. Ce n’est pas qu’il voit plus loin parce qu’il est plus grand, mais parce qu’il a regardé plus longtemps.
Ces deux sagesses, loin de s’opposer, se complètent. L’une célèbre la précocité, l’autre vénère la sagesse. L’une annonce l’éveil d’un feu intérieur ; l’autre rappelle la force tranquille des braises anciennes. Ensemble, elles traduisent avec finesse la relation entre générations dans la culture maure : une relation fondée sur le respect, la transmission, mais aussi la reconnaissance mutuelle.
D’autres civilisations ont su, elles aussi, exprimer cette tension féconde entre jeunesse et vieillesse.
Chez les Bambaras du Mali, on dit : « L’arbre ne pousse pas plus haut que sa racine », affirmant que toute grandeur puise sa force dans l’héritage.
Les Chinois enseignent : « Celui qui revient de loin sait plus que celui qui vit ici », insistant sur la valeur de l’expérience parcourue.
Les Français ont cette formule mélancolique : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », qui souligne l’écart entre l’élan de l’un et la lucidité de l’autre. Mais c’est peut-être un proverbe amérindien qui résume le mieux cette complémentarité : « Ce que le vieil homme voit assis, le jeune homme ne le voit pas même du sommet d’un arbre ». Non pour rabaisser la jeunesse, mais pour l’inviter à écouter avant d’agir.
Dans un monde pressé d’oublier ou de rompre avec le passé, ces sagesses anciennes nous rappellent une vérité essentielle : l’avenir se construit mieux lorsque les générations ne s’affrontent pas, mais se parlent.
La jeunesse est promesse. L’âge est mémoire. Entre les deux s’étend un fil précieux : celui de la transmission.
Ahmed Mahmoud Ahmedou Jemal