Vacances de luxe et mal-gouvernance : l’aveu implicite d’un système dévoyé

3 July, 2025 - 01:40

Lorsque le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani enjoint les hauts responsables de l'État à passer leurs vacances sur le sol national, il ne s'agit pas simplement d’un appel patriotique en faveur du tourisme intérieur. Derrière cette exhortation se cache un aveu troublant : celui de la prospérité suspecte de certains fonctionnaires, dont le train de vie extravagant tranche de manière flagrante avec la modestie des salaires officiels de la fonction publique.
Que révèle en réalité cet appel présidentiel ? D’abord, une prise de conscience – fût-elle tacite – que ces hauts cadres disposent de revenus excédant largement ce que leur statut institutionnel pourrait justifier. Des revenus si confortables qu’ils leur permettent de s’offrir des séjours estivaux dans des capitales européennes huppées ou dans les plus luxueuses stations balnéaires du monde arabe, là où l’ostentation remplace le sens de l’État, et où le paraître prime sur la décence.
Un tel comportement, loin d’être anodin, illustre les dérives d’une élite administrative dont les ressources ne s’expliquent ni par la transparence ni par la légalité. Ces agents publics se comportent davantage en rentiers du système qu’en serviteurs de la République. Ils incarnent une bourgeoisie bureaucratique née non de l'effort productif, mais de l’accès privilégié à la rente publique, au trafic d’influence, aux marchés opaques, et à la prédation institutionnalisée.
J’ai d’ailleurs illustré dans un article précédent ce phénomène à travers l’exemple édifiant de certains cadres, naguère pensionnaires modestes de l’internat du Lycée national de Nouakchott, nourris à la cantine scolaire, et dont l'ascension sociale fulgurante – obtenue grâce à des postes juteux au sein de l’appareil d’État – les a propulsés dans une bourgeoisie improvisée. Aujourd’hui, ils exhibent sans retenue une richesse insolente, qu’ils n’ont ni méritée ni su encadrer avec la discrétion que commande la responsabilité publique. Hier encore humbles, les voilà devenus arrogants ; hier en haillons, aujourd’hui drapés de vanité.

 

Ascension fulgurante

Le président, en leur demandant de « donner l’exemple » en restant au pays, met en lumière – peut-être malgré lui – l’écart béant entre la norme salariale et le mode de vie réel de ces privilégiés. Un tel écart est le symptôme d’un dysfonctionnement structurel de l’appareil d’État : l’enrichissement illicite, l’évasion des capitaux privés, l’indifférence au tissu économique local, et l’aliénation des élites à des modèles consuméristes importés et déconnectés des réalités nationales.
En effet, l’argent facilement acquis – ou, pour le dire plus crûment, mal acquis – est souvent gaspillé dans des dépenses frivoles à l’étranger, là où il aurait pu irriguer le tissu commercial national, soutenir le tourisme intérieur et renforcer l’économie domestique. Mais comment espérer que des individus moralement indigents, à l'éthique publique vacillante, puissent agir en vecteurs de développement national ? Ceux qui n’ont jamais connu les vertus de l’ascension sociale par le mérite se laissent trop facilement griser par les apparats d’une bourgeoisie importée, qu’ils singent avec une maladresse criante.
Riches en biens mais pauvres en valeurs, ces « nouveaux riches » de l'administration incarnent une caste déconnectée, dont la prospérité personnelle repose trop souvent sur la dilapidation de l’intérêt général. Leur souci n’est ni la nation, ni le citoyen, ni l’histoire ; c’est leur image, leur confort et leur accès aux privilèges. Ils vivent dans un entre-soi mondain, insensibles aux urgences sociales et économiques qui frappent les couches vulnérables du pays.
L’appel du président, en ce sens, est salutaire dans son intention mais inquiétant dans ses implications. Il suggère qu’au sommet de l’État, l’on sait, l’on voit, et l’on reconnaît que le pouvoir a enfanté une élite corrompue, insouciante et infidèle à l’éthique républicaine. Or, un tel constat exige davantage qu’un rappel à l’ordre : il appelle à une réforme profonde, à une moralisation rigoureuse de la vie publique, et à la mise en place de mécanismes de transparence capables de restaurer la confiance du peuple dans ses institutions.
Faute de quoi, les vacances dorées de certains resteront le reflet cruel d’une République trahie.
 

Mohamed Eleya