
Aux environs de 18 heures, heure locale, je vis à partir du balcon de notre hôtel une voiture, une limousine portant une immatriculation diplomatique mauritanienne s’immobiliser devant le portail d’entrée de l’hôtel. Hassène était absent. Une jeune femme, une Mauritanienne de teint clair, descendit seule. Elle fit sortir une grosse valise de la malle-arrière de la voiture. Elle la traina avec elle jusqu’à la réception de l’hôtel. Le conducteur de la voiture ne bougea pas de son siège durant tout le temps pris par la jeune femme avant de quitter la voiture. Il démarra aussitôt. Manifestement, elle savait se débrouiller seule dans ce genre de situations exceptionnelles.
Mon tour de danse…
Elle réserva une chambre non loin de la nôtre. Puis elle prit place sur une chaise dans le hall de l’hôtel situé juste devant nos chambres. Elle commanda un café. A mon tour, je débutai ma danse. Je commandai à mon tour un café. Je pris place sur une chaise tout près d’elle. Je plaçai ma tasse de café sur la même petite table se trouvant devant elle.
… puis mon interrogatoire
Puis, à ma façon, je débutai mon offensive, sous forme d’interrogatoire. J’ai salué poliment la jolie petite dame. Je l’ai amplement informé de notre mission au Sénégal, y compris la position de notre parti dans l’échiquier politique national. Après que je lui ai décliné toute mon identité, y compris la tribu et la moughataa (département). Dans un deuxième temps, je lui ai demandé de m’informer à son tour sur sa situation, notamment son nom, sa tribu et l’objet de son arrivée à Dakar. Elle était bouleversée. Elle s’efforçait de sourire et cherchait un sujet quelconque, un refuge, pour éviter de répondre à mes questions. La suite du film se déroulera le lendemain.
Face aux envoyés de son excellence
Dans l’après-midi du deuxième jour, les choses s’accélèrent. On était tous les deux absents de l’hôtel. J’étais rentré le premier. Au moment où je me présentais pour prendre la clef de notre chambre à la réception, un bonhomme, manifestement un agent de police, s’avança vers moi. Il me déclina son identité, Effectivement un policier. Il me demanda si je ne suis pas « Hassène ». Je lui répondis que non, mais que je suis son compagnon. Il me prit poliment par la main, m’expliquant qu’il avait besoin de moi en haut dans notre chambre au premier étage.
Préparer mon sac retour
Là, nous trouvions dans la chambre ouverte un sous-officier de police et un jeune commerçant, parent à Hassène qui nous accompagnait depuis notre arrivée à Dakar. Le sous-officier se leva. Il me tendit la main pour me saluer en prononçant poliment le mot « bonjour ». Je lui pris la main. Je l’ai gardée dans la mienne. Avant de la lâcher je lui dis : « Bonjour les envoyés de monsieur le consul… ! ». Je fixais mon regard sur le sien. Il sursauta. Il me répondit, le souffle lui manquait : « Non, qui vous a dit ça !». Sans lui donner le temps de respirer convenablement, je lui répliquai : « je sais ! Je sais parfaitement qu’il est le seul sur terre qui ose commettre une telle bêtise ! ». Puis je me suis mis à préparer ma valise. Il s’efforça cette fois-ci de respirer plus aisément avant de lâcher: « Mais qu’est-ce que tu es en train de faire ?! » Je lui répondis que je prépare ma valise parce que je sais que leur patron monsieur le consul de Mauritanie leur intime l’ordre de nous expulser en Mauritanie.
Rassurer les compagnons
Je m’inquiète pour Hassène, ainsi que pour son innocent petit parent qui nous accompagne. Très posément il me répondit : « Nous, nous vous demandons tout simplement de nous accompagner à la direction de la sureté au niveau de cette zone pour nous informer sur votre situation ». Entre-temps, accompagné par l’agent de police, Hassène entra. Sa sérénité habituelle était manifestement perturbée. Je me pressai de le rassurer en hassania. Je lui avais expliqué qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Que la police sénégalaise est chargée par le consul de Mauritanie de nous arrêter et de nous expulser le plus rapidement dans notre pays.
Nous sortons avec les deux policiers après avoir fermé la porte sur notre bagage.
Devant l’interrogatoire policier
Nous nous engouffrons tous dans notre voiture. Quelques minutes après nous arrivions à la direction de la sureté au niveau de cette zone de la ville de Dakar. J’avais profité des quelques minutes passées en route pour préparer mes compagnons, Hassène et son jeune parent, à d’éventuels interrogatoires de la police sénégalaise.
Toujours en Hassania, j’expliquai à Hassène, qu’au cas où il sera le premier interrogé, il doit défendre la parfaite légalité de notre mission et surtout de garder son sang-froid pour ne pas manifester une brèche par laquelle la police pourrait envisager de s’engouffrer. J’avais expliqué au jeune de dire sa vérité, rien que sa vérité. Comme quoi il est présent parmi nous uniquement parce qu’il était venu dire bonjour à son parent Hassène et qu’il n’avait rien à avoir avec notre mission politique.
Un montage autour d’une barbe
J’étais absolument sûr que tout le montage du consul fut tissé sur la personne de Hassène, sa barbe pendante et son statut de militant frère musulman. J’étais donc certain qu’il sera le premier interrogé. La suite ne me démentira pas. Hassène fut le premier interpellé. S’aidant de son parfait parler wolof il s’était très bien défendu. A son retour, je le voyais sourire, donc satisfait de son plaidoyer.
Faire vomir au policier toute la vérité rien que la vérité
On m’appela aussitôt après Hassène. Je me trouvais devant un inspecteur de police assis sur une chaise derrière un vieux bureau sur laquelle est posée une vieille machine à taper. D’ailleurs sur tout le matériel qui équipait son bureau planait l’usure du temps. Il me demanda de prendre place sur une vieille chaise qui lui faisait face sur l’autre côté du bureau. Il me demanda ensuite de décliner mon identité. Ce que je fis le plus poliment du monde. Puis il me demanda de lui expliquer quel était l’objet de notre mission au Sénégal. J’avais déjà préparé ma réplique à cette question. Je tenais à lui faire vomir que c’était bel et bien le consul en question qui était à l’origine de notre interpellation.
J’avais donc introduit ma question comme suit: « Monsieur l’inspecteur, avant de répondre à votre question je tiens d’abord à exprimer mon étonnement et ma déception !... Il m’interrompit : « Mais votre étonnement et votre déception de quoi ?! ». Je complétai mon raisonnement: « Vous savez: j’ai déjà implanté mon parti sous cinq dictatures dont une monarchie et j’ai accompli ma mission dans les meilleures conditions ». Puis je continue: « J’étais absolument ravi lorsqu’on me confia la mission de l’implanter au Sénégal, le pays phare de la démocratie en Afrique… ». Il m’interrompit de nouveau. Il s’écria : « Vous savez, le bonhomme nous a trompé ! Il nous a dit que vous êtes des extrémistes islamiques. Que vous venez de sortir de la prison. Que vous venez au Sénégal pour faire monter les sectes religieuses contre le gouvernement… ! ». « Tu sais, j’ai tout compris après avoir entendu Hassène » conclut-il.
Arroser l’arroseur
J’avais continué à enfoncer les clous. Il fallait inverser l’image par laquelle le consul voulait nous présenter. J’avais rappelé que j’étais originaire du même département de Mauritanie que le consul dont il était maire. J’avais rappelé quel rôle capital j’avais joué dans son succès à la mairie. J’avais même rappelé qui était-il avant d’être le maire de la commune du département, relatant surtout quel genre de commerce exerçait-il à travers les frontières entre les deux pays. J’avais rappelé également son rôle catastrophique dans la détérioration des relations entre nos deux pays durant les dramatiques événements de 1989-1991. Enfin j’avais expliqué que c’était là où résident les raisons de ma rupture avec lui. Moi, je dictais. L’inspecteur tapait sur sa vieille machine au bruit grinçant.
Le triomphe final
A la fin de mon interrogatoire, l’inspecteur dont la satisfaction se lisait sur le visage déclara: « Heureusement que nous avons fait votre connaissance. La suite sera une question de formalité. Je vais tout expliquer au commissaire dans son bureau à l’étage. Je suis convaincu que comme moi il comprendra », conclut-il. J’avais rejoint mes amis.
Quelques instants après, on a vu descendre des escaliers le commissaire et sa suite y compris l’inspecteur qui nous avait interrogés. Ils nous ont salués chaleureusement. Au nom de ses collaborateurs, le commissaire nous présenta ses excuses pour tout, avant de nous accompagner jusqu’à notre voiture et de proclamer notre entière liberté de circuler comme bon nous semble sur tout le territoire sénégalais.
Mission bien accomplie
Nous programmions un meeting au marché de bétail ce même après-midi. On le tiendra comme prévu. La voiture du consulat, celle qui avait déposé la petite dame un jour avant à l’hôtel, rodait dans les alentours sans pouvoir s’approcher de nous. Après le meeting, nous tenions une assemblée générale au cours de laquelle nous avions formé une représentation de notre parti à Dakar et désigné un délégué au congrès. Le consul « à problèmes » sera muté peu de temps après notre passage. Mutation qui, j’apprendrai plus tard, ferait suite à une demande des autorités sénégalaises.
Le lendemain, nous rebroussions chemin. Nous prenions la direction des camps des réfugiés le long de la vallée du fleuve Sénégal. Ces réfugiés mauritaniens, qui se comptaient au bas mot, par dizaines de milliers, s’étaient vus obligés de quitter leurs lieux d’habituations séculaires en Mauritanie lors des événements de 1989-1991.
Certains furent expulsés de force. La plupart avaient déguerpi en catastrophe pour sauver leur peau, après l’installation d’un climat de terreur dans tout le pays.
(À suivre)