Intelligence durable – II –

3 July, 2025 - 01:30

S’il y eut parfois – de fait sporadiquement – des outrances dans l’utilisation des esclaves en Islam (1), y suscitant des révoltes sanglantes, à l’instar, dans la seconde moitié du 8ème siècle,  de celles de Zandjs surexploités en de vastes domaines fonciers au cœur des marais irakiens, la vigueur, très argumentée, de leur condamnation par les plus éminents juristes musulmans (2), mettant en avant le droit du plus faible et la mesure dans l’extension des propriétés, a été suffisamment forte et entendue pour les réduire significativement. Nous reviendrons, dans un autre épisode de la présente série, sur l’argumentation de ces savants qui met particulièrement en avant la nécessaire distinction entre une religion et ceux qui s’en réclament plus ou moins sincèrement. C’est vrai pour l’islam comme pour toutes les religions de ce monde. Cependant, si une telle réprobation fut, dès le 15ème siècle, perceptible au sein de la Papauté chrétienne (3), celle-ci fut incapable de s’opposer efficacement aux conditions ordinairement effroyables de l’esclavage des Africains déportés aux Amériques et à ses conséquences racistes. De fait, c’est dans les marges antipapistes du christianisme, en convergence paradoxale avec des idées athées, que se forma le courant populaire qui fit reculer l’esclavage dans les colonies outre-atlantiques au cours du siècle suivant et amorcer, en conséquence, la défense mondialisée des droits de l’Homme. Un thème tout aussi enthousiasmant que porteur de multiples manipulations en sous-main, on le verra également plus loin, dans l’organisation actuelle des échanges internationaux.

 

Quelle gestion des appétits ?

Échanges internationaux, autrement dit commerce et capacité variablement partagée de négocier. Avec plus ou moins de finesse : amabilité feinte, détournement de l’attention, intox sur la valeur des produits, falsification des enjeux, recours à des tiers corrompus, intimidation, réduction au silence, voire usage circonstancié de la force, la panoplie des subterfuges visant à promouvoir son propre intérêt est large. Non pas, bien évidemment, que la possibilité d’un négoce réellement profitable à toutes les parties soit nulle – sa vigueur est, tout au contraire même, la condition essentielle à la durabilité des échanges… – mais elle est constamment menacée par l’excès de nos avidités. Et d’autant plus que, « l’appétit venant en mangeant », les illusoires vainqueurs de ces gloutonneries peuvent se croire désormais les maîtres du festin. Ceux qui y président ont-ils cependant conscience des conséquences de la dilatation de leur estomac ?

Quoiqu’il en soit, les mets sur la table n’en disparaissent pas moins, alors que s’impatientent, non seulement l’appétit des autres convives réduits à la portion congrue, mais aussi la faim, carrément vitale elle, de ceux massés, de plus en plus nombreux, aux portes de la Grande Bouffe. Cette réalité se résume-t-elle à une dichotomie « Occident/Non-Occident » dédouanant tous ceux qui ont, en leur propre pays ou culture ancestrale, organisé – organisent toujours ? – l’exploitation de leur peuple respectif ? La question prend d’autant plus d’ampleur lorsque telle ou telle de ces « élites » s’appliquent à proposer une alternative à la domination capitaliste occidentale, en s’appuyant sur des principes religieux, notamment islamiques, ou philosophiques, notamment marxistes. S’il est vraiment question de sortir le monde entier du péril qui menace son existence même, il n’y a pas d’autre solution viable que de « commencer à balayer chacun devant sa porte ».

Mais, qui, de ces élites, oserait en déduire qu’il s’agirait ici de balayer la masse des affamés pressant aux portes de la Grande Bouffe ? Un projet pourtant clairement en cours de réalisation dans les politiques anti-immigratoires initiées aux USA et en Europe – mais pas seulement… – et, beaucoup plus radicalement, dans la possibilité toujours entretenue – discutée secrètement entre grands de ce monde ? Cette probabilité n’est pas nulle… – d’un troisième conflit mondial qui aurait cet « avantage » de réduire considérablement la pression démographique (4) des humains sur notre petite planète bleue… Admettons que ces « solutions » ne conviennent nullement à une grande majorité de nos congénères qui doivent en conséquence s’entendre pour leur opposer un projet cohérent, remettant en cause jusqu’aux racines mêmes du système en cours. C’est-à-dire, comme nous l’avons suggéré tout au long de ce chapitre, le principe même de la domination. Or, quel que soit l’impact de la colonisation européenne sur les modes traditionnels de celle-ci, ils n’en étaient pas moins partout opérationnels depuis belle lurette. Les reconsidérer en toute lucidité et pragmatisme est désormais un préalable essentiel, si l’on tient vraiment à soigner notre unique et commune demeure. (À suivre).

 

Ian Mansour de Grange 

NOTES

(1) : La majuscule signale la nécessaire distinction entre Islam = civilisation (à l’instar de Chrétienté) et islam = religion (à l’instar de christianisme).

(2) : Et, fait remarquable, toutes sectes confondues.

(3) :  Singulièrement contestée, dès cette époque, par divers mouvements protestants mais, aussi, confrontée à la variété des intérêts commerciaux de ses propres soutiens.

(4) : … et l’ampleur des contestations de « l’Ordre » pensé par ces éminents stratèges… Règne définitif, en conséquence, du Contrefait et de l’Artificiel, sous le diktat d’un transhumanisme qu’imposerait alors l’irrémédiable dégradation postnucléaire de l’environnement ?