
La coordination nationale du dialogue a rendu publique, le vendredi 27 Juin, la feuille de route concoctée après un tour de table avec les acteurs politiques et toutes les personnes-ressources. La promesse avait été faite par Moussa Fall à charge de préparer le conclave. Il y a quelques jours, il avait annoncé la fin de la première phase de préparation du dialogue et l’on y est enfin ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que la feuille de route est ambitieuse, de par les thématiques, déroulé annoncé du conclave et mise en œuvre des recommandations. Le coordinateur et son staff n’ont voulu laisser en marge aucune personne susceptible d’apporter une valeur ajoutée au débat dont l’objectif, disait-il, est de faire avancer le pays. Moussa Fall avait pris cet engagement lors de sa première rencontre avec la presse au cours de laquelle un confrère lui avait demandé s’il avait les mains libres pour choisir ses interlocuteurs. Le résultat semble bien prouver qu’il en a été ainsi.
En scrutant le document, on ne peut pas ne pas relever le souci du coordinateur et de son équipe à bien préparer les discussions. Les thèmes synthétisent les différentes propositions des acteurs politiques et de la Société civile. Mais ce qui importe le plus, c’est d’abord l’implication du président de la République qui doit solennellement ouvrir les assises, une caution de sincérité que certains acteurs politiques réclamaient pour participer aux débats. L’autre aspect important est l’engagement de faire exécuter les recommandations consensuelles des participants, avec un mécanisme ou autre structure de suivi. Le coordinateur privilégie, comme on le constate, une démarche consensuelle. C’est ici la grosse différence et une véritable innovation par rapport aux dialogues précédents.
Véritable innovation
Reste à savoir si le président Ghazouani qui, contrairement à son ex-collègue du Sénégal ne présidera pas les rencontres, donnera toutes les libertés nécessaires à un mécanisme efficace de mise en œuvre des résolutions. Le travail de Moussa Fall et son staff restera vain, si des mesures rigoureuses et contraignantes ne sont pas prises par le président de la République en ce sens. Il y va de la crédibilité de celui-ci qui avait décidé de convoquer un dialogue politique, alors que rien ne l’y obligeait. Les lenteurs et tâtonnements constatés au cours du processus de résolution du passif humanitaire qu’il a enclenché lors son premier mandat invitent à la prudence. D’ailleurs, certains observateurs n’ont pas manqué de se poser la question sur l’emploi, dans la feuille de route, du terme « passif humanitaire » en place d’« unité nationale » thème pourtant rabâché par tous les acteurs politiques, les organisations de défense des droits de l’Homme et celles de la Société civile. Beaucoup d’entre eux soulignent que le passif humanitaire n’est qu’un des nombreux problèmes entravant l’unité nationale et la cohésion sociale. En somme, la partie émergée de l’iceberg…
Convoquer au dialogue ce dossier presque bouclé – les listes étant remises au commissariat des droits de l’Homme – inquiète les organisations de défense des victimes des évènements de 1989-1990. Ils étaient suspendus à la publication des « compensations » ou «réparations ». Va-t-on reprendre le dossier à zéro ? Comme le passif humanitaire, la question de l’esclavage, dont on ne déclare l’existence que pour parler de sa « survivance » dans le pays, donne l’impression que l’on tente de « satisfaire» ceux qui protestent contre leur « marginalisation ». Plusieurs analystes se demandent en outre, si ceux qui faisaient jusqu’ici obstruction à certains sujets – notamment le passif parce qu’il touche l’armée… – persisteront dans leur opposition. Dans ce cas, que pourraient avancer le coordinateur national et les participants pour éviter la paralysie des débats ? Une éventualité que le coordinateur écarte depuis sa désignation.
Enfin la dernière question est de savoir ce que le président de la République gagnera de ce dialogue. À tout le moins, du temps, diront certains, puisqu’il aura réussi à occuper toute la classe politique, des mois durant, voire une année. Mais il peut également faire avancer la démocratie, si suffisamment d’arrangements négociés seront mis en œuvre. Cela dit, le train de l’histoire politique du pays ne doit pas s’arrêter là. Des dossiers aussi importants que la lutte contre la corruption, les injustices, les inégalités et les diverses formes de trafic pourraient-ils connaître des avancements significatifs, alors que le gouvernement ne parvient pas, en dépit de l’impressionnant arsenal juridique dont il dispose, à dissuader le pillage des ressources du pays ? L’impunité accordée à certains citoyens haut placés constitue un gros handicap contre la gabegie et l’on se demande bien ce que les dialoguistes pourraient apporter de nouveau dans ce combat. C’est une question de mentalité, une épine difficile à extirper du pied de notre Mauritanie…
Dalay Lam