Passions d’un engagement (58): Le nom qui tue (A) Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)

24 April, 2025 - 07:46

La perte de notre onzième voix
L’année suivante, 1990, verra le renouvellement de l’ensemble des mairies du pays, y compris celle de Voursakane. A Nouakchott, j’étais accaparé par la préparation de la liste de Messaoud. Ce qui avait donné au maire sortant de Voursakane le temps de prendre sur le terrain une longueur d’avance sur nous en matière de préparation pour la prochaine échéance. J’ai alerté mes amis sur cette situation. On se rendit immédiatement à Voursakane. On avait trouvé les gens de l’autre partie en conclave pour élaborer leur liste municipale. Le maire sortant fut au centre des palabres. Il était certainement réconforté par notre absence visible sur le terrain.
 

Une tactique de dernière minute
Comme on était venu en retard, on n’avait aucune possibilité de confectionner une liste crédible avant minuit, l’heure prévue pour la clôture du dépôt des listes. Sur ma proposition, on les a rejoints dans leur lieu de réunion. La tactique que j’ai arrêtée consistait à leur proposer de confectionner ensemble une liste unique avec le maire sortant comme tête de liste et sans garantie préalable de le soutenir comme maire. Ce qu’ils acceptèrent sur le champ. La campagne pour une liste unitaire commença à Voursakane.
 

Une campagne bicéphale
Nous avons mené une campagne unitaire bien qu’en réalité elle fût plutôt bicéphale. Le second de la liste n’était autre que le petit frère de mon ami LXK, notre tête de liste dans la campagne précédente. C’était un ancien talibé des écoles coraniques de la ville de Rosso. C’était aussi lui notre vrai candidat à la mairie. Son intelligence lui avait permis d’acquérir rapidement un niveau élémentaire respectable en français écrit et parlé. En dépit de cette lutte interne, nous avons organisé une très belle campagne.
 

Un mauvais tour à Teichtayatt
Chaque membre de la liste candidate devait organiser une réception et un meeting chez lui. Chez nous, de mauvais esprits s’introduisirent en vue de saboter le rendez- vous prévu à cet effet. Au niveau de la délégation accompagnant la liste, tous ne cachaient pas leur empressement de venir chez moi à Teichtayatt. Là, ils s’attendaient à assister au meilleur accueil de notre marathon. Notre convoi arriva très tard dans la nuit à Teichtayatt.
 

Les femmes sauvent l’honneur du village
Nous étions exténués par une journée particulièrement éprouvante. Nous trouvâmes tout le monde endormi. Aucun signe de réception n’était en vue. Une contre-campagne de mobilisation menée par le plus arrogant des mauvais esprits découragea les éléments chargés de l’organisation de l’accueil. En quelques fractions de secondes, et comme par miracle, la situation fut complètement renversée.
Au moment où les moteurs des véhicules s’éteignaient deux belles tentes furent hissées et rapidement meublées. Les femmes se mirent à jouer pleinement leur rôle. Du lait frais, du zrig mousseux dans des calebasses décorées et du thé chaud à la menthe furent servis au moment où les hôtes s’installaient dans les tentes. C’était comme si l’organisation de l’accueil s’était mise en place depuis une semaine.
 

L’embarras d’un mauvais esprit
L’oncle paternel Elbal fait sortir de gros moutons de son troupeau ; en moins d’une heure de temps, le méchoui fut servi, gras et fumant. D’autres variétés de repas suivront. Mbarek, un surnom, le principal mauvais esprit responsable de la tentative de sabotage tenta désespérément de retenir les gens chez eux. Découragé et sous l’effet irrésistible de sa gourmandise légendaire, il se pressa de prendre place au milieu des convives et des plats de repas. Saisi par l’embarras du choix, il ne savait pas par quel plat commencer.
 

Une regrettable double perte: notre onzième voix et notre G3
Au sein de la liste unique, la lutte pour gagner la majorité pour son candidat fait rage. A moins de 24 heures de l’élection du maire, on était à 11 contre 10 en notre faveur. Nous avons offert un fusil, un G3, pour stabiliser notre majorité. A quelques heures du scrutin, un coup de théâtre renversa la situation: un coup de maître du super-politicien de la région, en fait du pays, réussit à acheter notre 11ème voix, le bénéficiaire du G3, au profit du candidat adverse.
Le lendemain, comme prévu, l’assemblée générale se tiendra dans les locaux de la mairie, tout près de chez le maire sortant. Le wali, chauvin  notoire et son staff étaient présents. Présent également, le très sympathique Hakem de Lekhcheim, un ami à moi à en juger par son regard admirateur. C’était Ahmedou Ould Cheikh Elhadrami. Quelques années après, il deviendra wali dans notre région.
On procéda à la vérification des noms des conseillers présents. Aucune absence n’était constatée. On passa au vote. Le wali présidait l’assemblée générale qui avait en fait la force d’un congrès. Comme on s’y attendait, le maire sortant fut réélu au premier tour du scrutin. Conformément à la loi, le wali lui passa la présidence de la séance.
 

La première explosion du wali
Gonflé par sa réélection le nouveau président de séance tenait à faire valoir ses supposés pouvoirs. Par-là, il cherchait, tout en humiliant ses adversaires, à faire la démonstration devant ses parents et ses sympathisants qu’il était toujours le plus grand, le plus fort. Son arrogance, sa  maladresse surtout, l’amena à refuser la parole au wali qui venait juste de lui passer la présidence.
Le wali explosa: « ah bon ! Tu te permets de me refuser la parole ! Si tu persistes à le faire, je te destitue immédiatement !». Puis il ajouta: «Après tout qu’est-ce que tu es ? Un vulgaire subordonné sous ma tutelle! ». Un tremblement de terre ébranla la petite assemblée. La panique traversa tous les esprits. Le tout risque de capoter. Le maire malgré sa grande taille qui frise les deux mètres, fut réduit à néant. Il était presque invisible, à peine un millième de millimètre qui cherchait désespérément à se terrer au sein du petit monde qui l’entourait.

L’élection du bureau municipal: l’exécution de notre plan B
Le maire reprit un tout petit peu connaissance. Il revint à la raison. Il s’excuse auprès du wali. Ce dernier récupéra de fait la présidence de la suite de la séance. De notre côté, on n’avait pas perdu de temps. On a profité de ce temps supposé mort pour mieux préparer la suite, l’application du plan B de notre stratégie électorale. Ainsi on avait réussi à placer 3 sur 5 de nos amis comme adjoints au maire. Puis le wali procéda à la clôture de la séance. On se mit « à table », en fait «à natte » pour manger. Chacun jouait la prudence pour éviter le méchant regard du wali.
 

Une clôture de séance sans tambour ni trompette
L’euphorie qui devait accompagner l’opération de l’élection du conseil municipal n’était pas au rendez-vous. Chacun cherchait à retourner chez lui indemne des débordements du wali. On se mit à se regrouper autour des plats de méchoui et autres agréables mets à base du riz de la Chamama.
Le G3, le Kalash… et autres fusils d’assaut, constituaient notre unique héritage de la guerre des sables ou guerre du Sahara Occidental. Maintenant on s’en servait comme moyen de corruption. Depuis la fin de la guerre, on s’en était servi pour nous entretuer, ou parfois se tuer soi-même souvent par inadvertance.

L’autodestruction de notre faune
Durant la guerre et bien après, on avait exterminé avec les mêmes fusils notre propre faune. Dans notre cas, la tentative de corruption par un fusil (un G3) avait lamentablement échoué. Non seulement nous avions perdu notre fusil mais aussi notre onzième voix qui nous aurait permis de gagner la mairie.
 

(À suivre)